ANGKOR
Photographies d’architecture
[…] Où était contée la découverte de ruines colossales perdues au fond des forêts du Siam ; il y avait une image devant laquelle je m’arrêtai saisi de frisson : de grandes tours étranges que des ramures exotiques enlaçaient de toutes parts, les temples de la mystérieuse Angkor !
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La ville, Angkor-Thom, […] gît plus loin, immense et imprécise, ensevelie sous la forêt tropicale.
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Voici où furent des palais, voici où vécurent des rois prodigieusement fastueux, – de qui l’on ne sait plus rien, qui ont passé à l’oubli sans laisser même un nom gravé sur une pierre ou dans une mémoire.
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En pleine mêlée de ronces et de lianes ruisselantes, il faut se frayer un chemin à coups de bâton pour arriver à ce temple. La forêt l’enlace étroitement de toutes parts, l’étouffe et le broie ; d’immenses « figuiers des ruines », achevant de le détruire, y sont installés partout jusqu’au sommet de ses tours qui leur servent de piédestal. Voici les portes ; des racines, comme des vieilles chevelures, les drapent de mille franges.
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Les ruines s’enveloppent d’une majesté soudaine, tellement que je me sens profanateur d’être encore là.
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Le Prince de la Mort […] semble avoir prévu, depuis la nuit des origines, que les hommes tenteraient de se prolonger un peu en construisant des choses durables ; alors, pour anéantir leur œuvre, il a imaginé, entre mille autres agents destructeurs, les pariétaires, et surtout ce « figuier des ruines » auquel rien ne résiste.
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La destruction en est stupéfiante ; comment ces masses ont-elles pu se déjeter ainsi, se pencher, crouler, se confondre en chaos ? Il y a des tours qui semblent avoir glissé d’un seul bloc ; tout d’une pièce, elles sont descendues de leurs soubassements. Et les lourdes terrasses ont fléchi. Et le sol a monté alentour ; l’humus, au cours des siècles, a commencé d’escalader les larges escaliers pour essayer de tout engloutir.
extraits de Un pèlerin d’Angkor (1912) de Pierre Loti